la mission de la rivière rouge
En février 1818, Mgr Joseph-Octave Plessis, évêque de Québec, reçoit des catholiques vivant à la Rivière Rouge une requête demandant instamment un prêtre pour la Colonie. En même temps, il reçoit une lettre qui lui apprend qu'une souscription générale destinée à soutenir l'établissement d'une mission catholique permanente à la Rivière Rouge avait été lancée par lord Selkirk et ses amis. Il n'en fallait pas plus pour que Mgr Plessis, chef de l'Église catholique en Amérique du Nord Britannique, décide d'aller de l'avant. Il choisit pour cette mission l'abbé Joseph-Norbert Provencher, fils d'un cultivateur de Nicolet, curé de la paroisse de Kamouraska. Il nomme aussi l'abbé Sévère Dumoulin, nouvellement ordonné en février 1817, et le séminariste Guillaume Edge pour accompagner l'abbé Provencher à la Rivière-Rouge. Les missionnaires prennent place dans les canots le 19 mai 1818. Suivant l'itinéraire des anciens explorateurs et des voyageurs, ils arrivent sans incident à la Rivière-Rouge le 16 juillet 1818, deux mois après leur départ. Logés provisoirement au fort Douglas, les fondateurs de la mission et de la paroisse de Saint-Boniface commencent les travaux de construction d'une maison et d'une chapelle sur un terrain à l'est de la rivière Rouge concédé à la mission catholique par lord Selkirk.
Bien que la construction de la maison et de la chapelle ne fut pas terminée avant 1823, une petite section est à peu près vivable dès l'automne. L'abbé Provencher y aménage une chambre et une chapelle provisoire dans laquelle il célèbre sa première messe en terre bonifacienne le 1er novembre 1818. Cette mission catholique, la première mission permanente dans l'Ouest canadien, a été placée sous le vocable de saint Boniface, grand missionnaire anglais qui avait évangélisé l'Allemagne. Ce choix de nom, l'abbé Provencher l'avait déjà en tête même avant son départ pour la Rivière-Rouge. En mai 1818, il avait indiqué à Mgr Plessis qu'il avait accepté le poste qu'on lui avait confié même s'il aurait plutôt fallu des évangélisateurs de la trempe de saint François-Xavier et de saint Boniface pour aller faire entendre la parole de Dieu dans cette région éloignée.
La vie à la Rivière-Rouge en ce début du 19e siècle était pénible. Durant l'hiver 1818-1819, Dumoulin et Edge vont hiverner à Pembina où la majorité des habitants de la Colonie s'était réfugiée pour ne pas crever de faim. Sécheresses, inondations, gels précoces et nuées de sauterelles rythmeront la vie des habitants et de la mission de Saint-Boniface durant les prochaines décennies.
En 1820, Mgr Plessis devient archevêque et reçoit de Rome l'autorisation de créer deux nouveaux districts épiscopaux, l'un à Montréal et l'autre dans le Nord-Ouest. Il propose le district épiscopal du Nord-Ouest à l'abbé Provencher qui hésite à accepter cette lourde tâche. Après mûres réflexions, Provencher accepte le 19 mai 1821, et un an plus tard, soit le 12 mai 1822, il est sacré évêque dans l'église paroissiale de Trois-Rivières.
À la mission de Saint-Boniface, administrée par l'abbé Destroismaisons durant l'absence de Provencher, n'était guère prospère. Les travaux de la petite église, débutés en 1819, n'étaient pas encore terminés, faute de fonds. D'ailleurs ce n'est qu'en 1823, que l'on pourra, de temps à autre, y célébrer la messe. Il faudra attendre l'année 1825 pour être complètement à l'abri des intempéries et y célébrer la messe régulièrement. À partir de 1821, date de la fusion des compagnies de la Baie d'Hudson et du Nord-Ouest, la population augmente rapidement dans la colonie de la Rivière-Rouge. En 1826, la colonie connaît l'une des plus importantes inondations de son histoire. L'Église et la maison des missionnaires sont endommagées par l'eau. Les choses se replacent, si bien qu'en 1828, Mgr Provencher songe à remplacer sa première église devenue trop petite pour la population grandissante. Un an plus tard, il peut emménager dans son nouveau « palais épiscopal » et en 1831 il se rend au Bas Canada pour prélever des fonds pour la construction de sa cathédrale.
La première pierre de la première cathédrale de Saint-Boniface fut posée en 1832. Cette cathédrale à deux tours, rendue célèbre par le poète américain Whittier en 1859, mesurait 100 pieds sur 60, avec des murs de pierre d'une hauteur de 40 pieds. Les deux clochers s'élevaient à 108 pieds dans les airs. La construction de la première cathédrale s'échelonna sur une dizaine d'années. Elle fut ouverte au culte en 1839. Et ses fameux clochers ne furent terminés qu'en 1844. L'évêque, tout comme ses ouailles, était très pauvre à cette époque.
1844 marque un tournant dans l'histoire de la mission de Saint-Boniface. Un peu plus de 25 ans après son arrivée, Mgr Provencher pouvait enfin espérer une permanence à son oeuvre. Car le 21 juin 1844, quatre religieuses arrivent à saint-Boniface. Ces Soeurs Grises viennent fonder un couvent. L'année d'après, soit le 22 août 1845, deux oblats, Pierre Aubert et Alexandre Taché arrivent à Saint-Boniface. En 1848, Mgr Jospeh-Norbert Provencher devient officiellement « un évêque comme les autres » lorsque son vicariat apostolique est érigé en diocèse. Mgr Provencher s'éteint le 7 juin 1853, vraisemblablement des suites d'une attaque d'apoplexie qui l'avait terrassé une vingtaine de jours plus tôt. La petite mission de 1818 était en effet devenue une paroisse, chef-lieu d'un vaste diocèse, au coeur de laquelle se dressaient la cathédrale, l'évêché et le couvent des Soeurs Grises, qui servait à la fois d'école, de pensionnat, d'hospice et d'hôpital.
L'oblat Alexandre Taché, sacré évêque en 1851, succède à Mgr Provencher. À lui revient la tâche de poursuivre l'oeuvre de son prédécesseur. La population de la colonie de la Rivière Rouge continue à augmenter. Ainsi en 1857, une première paroisse dans la région urbaine actuelle est démembrée de la paroisse de Saint-Boniface. La population catholique, composée majoritairement de Métis francophones, est donc répartie dans trois paroisses, Saint-Boniface, Saint-Norbert et Saint-François-Xavier (Prairie-du-Cheval-Blanc) Le successeur de Mgr Provencher connaîtra aussi sa part d'épreuves. Le 14 décembre 1860, un incendie prend dans la cuisine de l'évêché et les flammes se répandent à la cathédrale, réduisant en cendres l'oeuvre matérielle de Mgr Provencher. La presque totalité des registres paroissiaux et de la correspondance a été perdue dans le sinistre. En 1862, Mgr Taché commence la construction de la deuxième cathédrale de Saint-Boniface. Mesurant 155 pieds sur 60, cette église à clocher unique était située exactement en face et tout près de la cathédrale de Mgr Langevin construite en 1908. La cathédrale de Mgr Taché, devenue trop petite pour la population grandissante de Saint-Boniface, fut démolie en 1909. L'épiscopat de Mgr Taché coïncide avec une ces périodes les plus mouvementées de l'histoire du Manitoba. C'est durant cette époque que la colonie de la Rivière-Rouge devient la première province à se joindre à la Confédération canadienne. C'est durant cette époque aussi que le Manitoba commence à recevoir de nombreux immigrants de l'Ontario, de la Grande-Bretagne, du Québec et des États-Unis. C'est aussi l'Époque d'un des plus malheureux chapitres de notre histoire : celle de la dispersion des Métis, les premiers paroissiens de Saint-Boniface.
En 1871, le diocèse de Saint-Boniface est élevé en archidiocèse et Mgr Alexandre Taché devient le premier archevêque de Saint-Boniface. La paroisse de Saint-Boniface, qui s'étend des deux côtés de la rivière Rouge, est la seule paroisse catholique francophone de la région urbaine de l'époque. Elle sera l'unique paroisse catholique de la ville de saint-Boniface jusqu'en 1917 lorsque la paroisse du Sacré-Coeur est fondée pour la population belge de langue flamande. En 1922, la paroisse de Holy Cross sera fondée dans le quartier de Norwood pour la population catholique de langue anglaise de Saint-Boniface.
À partir des années 1880, la paroisse de Saint-Boniface passe d'un mode de vie essentiellement rural à un mode de vie urbain. Du même coup, l'ancienne paroisse métisse devient une paroisse canadienne-française où l'on fête la Saint-Jean dès le début des années 1870. La paroisse de Saint-Boniface devient aussi le chef-lieu des institutions de santé et d'éducation catholiques et francophones du Manitoba. Les Soeurs Grises et les Oblats de Marie-Immaculée avaient donné l'exemple dès les années 1840. Sont venus les épauler, les Jésuites, qui prennent la direction du Collège en 1885, les Soeurs des Saint Noms de Jésus et de Marie avec l'académie Saint-Joseph en 1898, les Marianistes à l'École Provencher en 1899. C'est aussi à Saint-Boniface que Mgr Langevin, successeur de Mgr Taché, fonde une congrégation religieuse, les Missionnaires Oblates en 1904. Toutes ces communautés ont marqué l'histoire et la communauté de Saint-Boniface.
Au tournant du siècle, Saint-Boniface est la cinquième ville de l'Ouest. Il devient évident que la présente cathédrale, en raison de la croissance de la population ne répond plus aux besoins des fidèles. En 1906, on confie aux entrepreneurs Sénécal et Smith la construction d'une nouvelle cathédrale. Deux ans plus tard, Saint-Boniface a une nouvelle cathédrale digne de l'étendue de son rayonnement. Elle sera la fierté des paroissiens jusqu'en 1968 lorsqu'elle est détruite par le feu. L'actuelle cathédrale, oeuvre de l'architecte franco-manitobain Étienne Gaboury, a été construite à l'intérieur des ruines de la cathédrale de Mgr Langevin.
La paroisse de Saint-Boniface est riche de ses 175 ans d'histoire et de tradition. Son cimetière est le lieu de repos des plus connus et des plus humbles de ses paroissiens qui ont, tous à leur façon, contribué au développement de notre province et de notre pays. Sa cathédrale, tout en étant un lieu de culte conforme au renouveau inspiré par Vatican II, reflète par la Christ et la vierge de son sanctuaire, l'union pacifique des peuples amérindiens et des Canadiens qui donna naissance au peuple métis, à Saint-Boniface et au Manitoba. Puisse l'oeuvre se poursuivre pour un autre 175 ans!